Je me souviens

A la fin du XVIIIe siècle, un peu avant l'installation en Poitou d'une colonie Acadienne victime du "Grand dérangement", Thuré vit l'implantation au château de la Barbelinière d'une petite communauté Québécoise.

Cette demeure appartint en effet à un certain Joseph-Michel Cadet (né en 1719 - décédé en 1781) qui en fit l'acquisition en 1770. On sait aussi qu'il est né de parents français à Québec, qu'il fut un grand homme d'affaires et bâtit "frauduleusement ?" une colossale fortune comme munitionnaire général des vivres des armées françaises du roi Louis XV au Canada entre 1756 et 1760, date de la reprise de la Nouvelle-France par les Anglais.

La fin désastreuse de l'aventure française au Canada ayant choqué l'opinion, elle réclame des têtes en pâture. Le dernier intendant de la Nouvelle-France et ses amis ont le profil parfait pour jouer les boucs émissaires. Cadet fut donc inculpé dans l'un des procès les plus fameux du XVIIIe siècle en France, le procès dit de "l'Affaire du Canada" mettant en cause l'intendant Bigot et les administrateurs de la Nouvelle-France accusés du pillage de la colonie et de sa perte aux mains des Anglais. Le procès durera deux ans, révélant corruption et scandales financiers, et Cadet sera embastillé en 1761. Après versement d'une grosse somme au Trésor royal, il est libéré trois ans plus tard (1764) et finira ses jours en France où il achètera divers domaines en Châtelleraudais dont la Barbelinière.

On ne sait trop pourquoi cette famille a choisi Thuré pour venir s'installer mais avec elle c'est une petite société canadienne qui a fait souche ici puisque Joseph Cadet et Angélique Fortier, son épouse depuis 1742 _ fille d'un habitant de l'île d'Orléans _, eurent 8 enfants dont seulement 3 vinrent à l'âge adulte. Les deux filles se marièrent à Thuré. On peut supposer qu'avec eux arrivèrent serviteurs*, domestiques, alliés, amis et que Pierre Dominique Debats, perruquier, et Marie-Josèphe Hédouin (née elle aussi au Canada où son père était capitaine caboteur à Québec) étaient de ceux-là.

Mais laissons Madame Marianne Mabille, qui connaît bien le sujet, nous raconter l'histoire de Marie-Josèphe Hédouin et des Canadiennes des Giraudelles.

C.P.

Emblèmes
                      actuelles du Québec

1773-1787 :

les Canadiennes

des Giraudelles

 

 

(par Mme Marianne Mabille)

 

Ayant un jour rendu visite à Mme Thiollet, née Audouard, qui vit à Puydonneau, j'ai reçu d'elle pour consultation un dossier constitué par des Canadiens à la recherche de leurs racines françaises. C'est ainsi que j'ai pu retracer les circonstances de l'arrivée à Thuré d'un de ses ancêtres, Pierre Dominique Debats. Il aurait épousé une Québécoise au Canada et l'aurait ramenée en France, pour séjourner aux Giraudelles, aujourd'hui commune de Sossay.

Quand il arrive à Thuré vers 1770, il a 24 ans, et a déjà deux enfants. L'extrait d'acte de baptême qu'il produit pour son mariage (à Paris) en 1768, montre qu'il est né à Steenvorde, dans les Flandres, au nord de la France, en 1746. Il n'a jamais connu son père, mort trois semaines à peine avant sa naissance, et il perd sa mère à l'âge de 8 ans, si j'en crois l'acte mortuaire de Marie Robertine de Clep, sa mère, en date du 10 janvier 1754 (1).

Que faire quand on est orphelin ? Acquérir au plus vite un métier. Il fait son apprentissage chez un certain Harchain, maître perruquier à Dunkerque, comme l'atteste un certificat, qui dit que "ledit Pierre Dominique Debats a travaillé l'espace de quatre ans et demi chez ledit Harchain et qu'il s'y est bien sagement et fidèlement comporté". Le voilà donc perruquier, c'est-à-dire ouvrier très qualifié, fournissant des services indispensables selon la mode du temps, à un milieu riche de bourgeois ou de nobles portant perruques...

A la date du certificat, en 1768, Pierre Dominique a 22 ans, il est à Paris et il s'apprête à se marier. Il lui faut donc produire tous les papiers nécessaires pour prouver son identité, sa nationalité, dans un milieu qui lui est étranger. Le 18 avril 1768, il épouse en l'église de la Sainte-Trinité à Monthléry, au sud de Paris, la demoiselle Marie Josèphe Hédouin, "native du Canada". Que venait donc faire en France cette jeune "indienne", née à Québec en 1741 ? Son père, Jean-Baptiste Hédouin, était capitaine caboteur à Québec, sa mère, Marie-Josèphe Ferret, était également canadienne ; deux familles originaires de Normandie, qui avaient fait souche au Canada depuis au moins cent cinquante ans. Un indice permet peut-être de comprendre à la fois la venue de la fiancée à Paris et l'installation du couple dans notre région.

Quand le couple se porte acquéreur en 1773 de la métairie des Giraudelles, l'acte de vente établi par le notaire Delaporte domicilie les deux époux à la Barbelinière. Or cette demeure noble, d'âge respectable, venait d'être rachetée par un nommé Joseph Cadet, munitionnaire du roi, au plus tard en 1768 (2). Cadet était chargé par l'administration de Louis XV de faire venir de France des provisions (munitions) de pois secs, de lard ou de poudre pour les troupes royales présentes à Québec. Par ses fonctions, Joseph Cadet avait donc des relations fréquentes avec les capitaines de vaisseaux venant d'Europe et les maîtres caboteurs chargés de redistribuer les marchandises vers les forts situés le long du Saint-Laurent. Il connaît peut-être déjà bien la famille Hédouin quand il choisit de placer une partie de sa fortune en France en achetant divers domaines dans le Châtelleraudais dont la Baronnie de la Tousche d'Avrigny, près de Saint-Gervais, et la Barbelinière.

Dans notre région se trouvent déjà beaucoup de familles canadiennes, venues d'Acadie, cette île dans l'embouchure du Saint-Laurent dont les habitants ont été chassés par les Anglais vers 1755. Le marquis Pérusse des Cars les avait installées sur ses terres de Monthoiron pour les mettre en valeur.

Peut-être Pierre Dominique Debats rencontre-t-il sa future épouse dans l'entourage de Joseph Cadet, à Paris, où Cadet a des ennuis avec la justice royale qui l'accuse (à tort) d'avoir détourné de l'argent. Ils se marient en 1768, et la même année naît un garçon nommé comme son père Pierre Dominique. La petite famille s'installe à Thuré, chez Joseph Cadet, à la Barbelinière : un second fils, Joseph, reçoit le baptême dans l'église Saint-Pierre en 1770. D'autres enfants suivront : Jean-Baptiste, en 1771, Michel en 1773, François, né en 1774, mort en 1776, et Marie-Josèphe, née en 1776, mariée en 1800 à Jean Roy, et dont la fille Marie-Josèphe, née en 1807, épouse en 1824 Jean Audouard, meunier à Saint-Gervais.

La Barbelinière est le cadre d'une petite société canadienne qui s'installe et se lie avec des habitants de Thuré : en 1772 Geneviève Cadet, nièce de Joseph, se marie avec Jacques Plazanet, un jeune maître chirurgien originaire de Périgueux qui l'a sans doute connue à Paris. Plazanet va devenir le médecin de Thuré, où il devient propriétaire du vieux porche ; il jouera un rôle important pendant la Révolution. En 1774, c'est au tour du notaire de Thuré, Jean Delaporte, de succomber aux charmes d'une Canadienne puisqu'il épouse une demoiselle Marchand, native de Québec, qui deviendra la marraine de Marie-Josèphe Debats.

En 1773, Pierre Dominique Debats achète la métairie des Giraudelles juste à la limite de la paroisse de Thuré. Il s'y installe avec ses trois premiers enfants, mais ne profite pas beaucoup de sa vie campagnarde : il meurt lors d'un séjour à Paris, en 1778. Il a 32 ans, et laisse une femme de 37 ans, une belle-mère, déracinées, peut-être pas trop isolées si leurs amis canadiens les entourent un peu, mais avec quels moyens de subsistance ? Un fermier exploite pour elles la métairie, mais quand Mme Debats meurt à son tour en 1785, suivie de près par sa mère en 1787, les enfants sont encore mineurs et c'est Plazanet qui est nommé tuteur, au titre de "ami et voisin".

Quel va être l'avenir de ces enfants ? Pierre Dominique, garçon perruquier (apprenti) à la mort de sa grand-mère, a appris à lire et à écrire, et conserve ce bagage à l'âge adulte, puisqu'il signe son acte de mariage, mais il meurt jeune lui aussi, à 35 ans, laissant une veuve apparemment sans enfants. Son frère Joseph a fait une formation de garçon tailleur, mais on le retrouve agriculteur et il meurt à 46 ans, laissant une épouse ; Jean devient lui aussi agriculteur, s'installe aux Giraudelles et se marie avec une fille de Thuré ; ces deux plus jeunes frères savent eux aussi signer à leurs mariages. Ce n'est plus le cas pour le jeune Michel, devenu lui aussi agriculteur, qui a deux fils dont un trouve du travail à la manufacture de Châtellerault. Marie-Josèphe, qui a épousé en 1799 Jean Roy, vivra elle aussi aux Giraudelles, et sa fille épousera Jean Audouard, meunier au moulin de Collay, à la limite de Thuré et de Saint-Gervais.

Marianne Mabille.

(1) Tous ces extraits d'actes d'état civil ont été retrouvés dans une boîte ouverte après la mort de Marie-Josèphe Ferret, belle-mère de Pierre Dominique Debats, lors de l'inventaire destiné à mettre sous tutelle les biens des enfants Debats, tous mineurs et orphelins au moment de la mort de leur grand-mère, en 1787. Cet inventaire a été dressé par le notaire Delaporte, dont les archives sont une mine très précieuse d'informations pour la vie de Thuré avant la Révolution.

(2) Alfred Barbier, article sur la Barbelinière, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, tome 9, 2e série, p. 326 et sq.

 

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(*) Acte de décès figurant dans les archives paroissiales de Thuré : "Le 13 avril 1788, inhumation de Angélique, 80 ans, née sauvage, baptisée autrefois dans cette église, morte à La Barbelinière chez M. Cadet où elle vivait depuis sa sortie des îles."





Les Giraudelles



Les Giraudelles



Plaque commémorative de Sossay

Quelques liens relatifs à Joseph Cadet :

http://www.uqac.uquebec.ca/~a2cote/prod.sc.online3.acote.html

http://www.uqac.uquebec.ca/~a2cote/prod.sc.online2.acote.html

http://www.septentrion.qc.ca/fr/catalogue/138.html

http://www.erudit.org/revue/haf/1999/v53/n1/005336ar.html
http://decouverte.inventaire.poitou-charentes.fr/sur-les-traces-de-la-nouvelle-france/aller/administrateurs.html