E porte une tendresse particulière à cette rivière qui arrose le pays mi-poitevin, mi-tourangeau où je demeure, le pays châtelleraudais. Châtellerault, avec ses blanches maisons de calcaire, ses toits d'ardoises et l'élégance de ses boutiques, est déjà tourangeau. C'est une ville fleurie : les lampadaires de ses promenades sont ornés de corbeilles débordantes de géraniums-lierre et de pétunias ; c'est une ville souriante, un petit Tours : les gens y sont avenants et diserts, les hommes y ont l'esprit clair, des idées sans cesse en mouvement de curiosité, le goût de l'entreprise ; les femmes y sont élégantes et d'humeur enjouée, tout allant de coeur et toute alacrité d'esprit ; une ville qui détruit d'un coup les trois quarts des clichés établis sur la vie de province.

Déjà on est ici de plain-pied sur le banc de tuffeau de la Touraine. Chacun, comme en Indre-et-Loire, y a sa petite maison faite de quartiers bien taillés et fleurie aux fenêtres. Le vin blanc qu'on y boit est proche parent des vins de Rochecorbon et de Vouvray. Je sais des vignes, auprès de Châtellerault, à Thuré, à la Gâtinalière, à Usseau, qui donnent les vins les plus spirituels ; on conserve les bonnes années dans des caves creusées en pleine crétacé, toutes pareilles à celles des collines de la Loire et du Cher.

Ici et là, quelques habitations aménagées dans le roc et des souterrains-refuges, ceux de la Saulnerre, à Ingrandes, de la Tour de Naintré, de la Plante, marquent fortement le caractère du sous-sol châtelleraudais. Des châteaux tout blancs apparaissent à l'horizon des bois : ils portent des noms chargés de l'histoire des familles du terroir ; ils s'appellent les Giraudières, la Massardière, la Cataudière, du nom d'un domaine rural possédé par un Giraud, un Massard, un Cataud..."

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