Roger et Fernand

les derniers carillonneurs

Nous parlons encore ici d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Un temps où la religion avait une petite place dans la vie du village et où le langage des cloches était encore connu de tous.

UELQUES coups pour appeler les fidèles au culte, une volée pour la fin de la messe ; donnant l'alerte par le tocsin ; convoquant les habitants pour l'élection du maire ou du syndic sous l'ancien régime ; proclamant l'état civil : un rythme particulier pour célébrer un baptême, le décès d’un paroissien était annoncé par une série de tintements, quatre pour un homme, trois pour une femme et deux pour un enfant. C’était le glas.

En ce temps-là il était aussi de bon ton de passer par l’église pour se marier et pour clore la cérémonie la résonance du carillon vibrait de longues minutes durant sur le bourg qui profitait comme toute la campagne à la ronde d'un concert harmonieux d'une débordante allégresse, qui, cessant laissait les oreilles toutes bourdonnantes.

Le concile œcuménique Vatican II en 1965 et la révolution de mai 68 étant passés par là, les mœurs ont évolué. Les églises se sont vidées et il n’est plus besoin de demander au curé sa bénédiction.

Traditionnellement donc, à Thuré, mieux que des grandes orgues, c'étaient les cloches qui, en carillonnant gaiement,  accompagnaient la nouvelle mariée à sa sortie de l’église via son passage sous le porche-galerie appelé « le ballet ».

Depuis longtemps le plus beau carillon de toute la région s'est tu et on ne cesse de le regretter. C'est que pour le mettre en mouvement on avait des artistes à Thuré, des spécialistes. Roger Goudeau, le maçon, lâchait sa truelle pour venir tirer la cloche et Fernand Aubert, le maréchal-ferrant, laissait là son enclume pour aller battre la fonte. Nos deux co-équipiers ont longtemps de conserve escaladé l’escalier en colimaçon du clocher. Mais Roger et Fernand sont morts depuis des années.

A quand remonte cette pratique. Avant eux leurs pères et leurs grands-pères faisaient-ils peut-être aussi chanter les cloches ? Depuis des siècles sans doute si l’on en croit l’usure des marches du clocher.

Un érudit saura-t-il nous dire s’il était, à Thuré, une longue dynastie de carillonneurs.

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