GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN MUNITIONNAIRE DU ROI

Si le royaume de France avait été plus clairvoyant, s'il n'avait pas mésestimé la valeur et le potentiel de

« ces quelques arpents de neige »

comme les qualifiait Voltaire, leur préférant l'économie sucrière des Antilles, ces immenses territoires nord-américains cédés sans trop de remords à l'Angleterre après sept ans de guerre, eh bien le cours des choses en aurait été changé et Joseph-Michel Cadet aurait été acclamé comme un héros national, un bienfaiteur et n'eut pas fait de la Barbelinière, à Thuré, sa résidence.

Joseph-Michel CADET (1719-1781)

L'ENFANCE
    Joseph-Michel Cadet, né à Québec le 24 décembre 1719, est issu d'une famille de négociants-bouchers niortais (Poitou). Ayant perdu son père un an après sa naissance et sa mère s'étant remariée quand il avait à peine cinq ans, il passa sa jeunesse à Charlesbourg, un quartier de la ville de Québec et reçut une assez bonne instruction. Fils de boucher il devint lui-même garçon boucher, puis commis chez son oncle Augustin Cadet et enfin boucher à son propre compte.

LA CARRIÈRE
    Ambitieux, il fit fortune entre 1742 et 1756 en fournissant des viandes à la boucherie publique du Québec, puis au magasin du roi avant que l'intendance de la colonie ne lui accorde la fourniture des viandes pour les troupes. Propriétaire des meilleures terres, exploitant les pêcheries du golfe du Saint-Laurent... sa fortune était considérable.

LE MUNITIONNAIRE
    C'est le dernier intendant de Nouvelle-France, François Bigot, qui le nomma en janvier 1757, au tout début de la guerre de Sept Ans, munitionnaire général exclusif pour les armées du roi en Nouvelle-France.
    Cadet engagea la fortune amassée en à peine quinze ans en achetant bateaux, denrées, entreposant et livrant toutes sortes de fournitures, déployant des efforts héroïques pour ravitailler la colonie avec sa propre flotte de navires marchands. Mais l'Etat français ne remboursait que sur le prix des denrées en 1756, ne tenant pas compte d'une très forte inflation et le munitionnaire en fut pour ses frais.
    Cette
guerre fut fatale à la France.
Après la chute de la ville de Québec lors de la bataille des Plaines d'Abraham où Montcalm trouve la mort et la capitulation de Montréal, la France par le traité de Paris (1763) cède tout le Canada à la Grande-Bretagne et il fut facile pour l'Etat d'
ignorer ou déprécier les efforts de Cadet pour ravitailler la colonie. Politiquement, il fallait trouver des boucs émissaires pour les pertes et les échecs.

L'AFFAIRE DU CANADA
    Cadet et d'autres fonctionnaires furent accusés de détournement, de mauvaise gestion et d'abus lors de leur arrivée en France.
    Arrêté et conduit à la Bastille le 25 janvier 1761, en vertu d'un ordre du roi du 21 janvier pour « avoir exercé l'administration la plus infidèle et la plus préjudiciable aux intérêts du roi. Par jugement du 10 décembre 1763, il a été banni pour neuf ans de la prévôté et vicomté de Paris, condamné à 500 livres d'amende envers le roi, et par forme de restitution, au profit de S. M., en six millions (qu'il remboursa en partie). Il a été déchargé de la peine du bannissement. Le roi donnait six francs par jour pour la nourriture à la Bastille » (Gallica).



LA BARBELINIÈRE

    Il put garder une partie de sa fortune qui lui permit d'acheter en 1766 des terres en Normandie, Touraine, Poitou, dont la Barbelinière à Thuoù, même si peu de traces de son passage subsistent, on sait qu'il y était bien présent par de nombreux actes paroissiaux et notariés qui prouvent aussi son implication ainsi que sa générosité discrète envers la communauté de Thuré à qu'il donna le terrain sur lequel fut aménagé l'actuel cimetière, faisant aussi refaire une des chapelles de l'église... et le témoignage de François Thoreau de Rouilly (voir ci-contre) ne laisse aucun doute sur la générosité charitable de Cadet envers son entourage.

RÉHABILITATION
    Après de nombreuses démarches et tentatives infructueuses de réhabilitation, à sa mort, en 1781, quasi ruiné, il laisse derrière lui un gros passif alors que l'Etat lui doit en principe encore de l'argent.
    Ce document exhumé des archives départementales de la Vienne par Marianne Mabille et qui aussi en son temps
a dû passer entre les mains d'honorables membres de la Société des antiquaires de l'Ouest (SAO), dont maître Barbier, qui a fait la première présentation de Cadet en expliquant l'organisation de ses entrepôts, est un certificat rédi par messire François Thoreau de Rouilly, à la demande d'Angélique Fortier, femme veuve de Joseph Cadet, pour servià réhabiliter la mémoire, faire reconnaître les droits de son mari et donc récupérer les traites impayées que le royaume de France lui doit mais qu'il ne lui versera jamais.
__________
Sources : André Côté, J.-F. Boscher, P.-J. Roy, M. Mabille et J.-L. Lamouraux (Thuré, histoire d'une mémoire), bulletins trimestriels Thuré, ma commune au fil de l'histoire.

Bataille de
                        fort Carillon

La bataille de Fort Carillon (1758).

Une frégate
                    anglaise

Une frégate anglaise
.

Le commerce des fourrures
                    en Nouvelle-France

Le commerce des fourrures en Nouvelle-France.


Source images : George Agnew Reid / BIBLIOTHÈQUE et ARCHIVES Canada / C-011013

La Barbelinière

La Barbelinière



Acte PDF

Acte notaire Delaporte (format PDF)


Quelques liens vers Joseph Cadet, Nouvelle-France et Québec :

http://biographi.ca/009004-119.01-f.php?id_nbr=1789

http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/encyclopedia/Joseph-MichelCadet.html

http://www.renaud-bray.com/Livre_Numerique_Produit.aspx?id=1108981&def=Joseph-Michel+Cadet%2cCOTE%2c+ANDRE%2c9782896641987

http://www.encyclobec.ca/main.php?docid=102

http://books.google.fr/books?id=0ow4WV_4jgkC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

http://www.herodote.net/10_fevrier_1763-evenement-17630210.php

http://clementeocheduval.blogspot.fr/2011/10/la-chute-de-la-nouvelle-france-la-perte.html

http://www.ourroots.ca/page.aspx?id=375955&qryID=45b1c200-8692-49de-b2e2-65aa05a4c553

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Qu%C3%A9bec

Vidéo : la bataille des plaines d'Abraham

Archives de la Vienne


Certificat
par
M. Thoreau de Rouilly
sur la fortune et
qualités du feu
sieur Cadet, munitionnaire en Canada.

23 juillet 1787




E4/46. Archives du notaire Delaporte

Par-devant les notaires du roi à Châtellerault soussignés.

    A comparu messire François Thoreau de Rouilly, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, seigneur de la Grimaudière en Anjou et autres lieux, demeurant ordinairement à Poitiers, paroisse de Saint-Cybard, étant de présent en cette ville de Châtellerault, logé à l'hôtel de la Teste noire.
    Lequel sur la réquisition de la dame Angélique Fortier, veuve du sieur Joseph Cadet, ancien munitionnaire général des troupes du roi en canada, vu sa connaissance en bien, portée en sa lettre du premier juin dernier, de donner son témoignage sur les connaissances générales et détaillées qu'il peut avoir tant sur la fortune du feu sieur Cadet son mari, avant d'avoir été attaché au service du roi, que sur la bonne réputation également dont il jouissait et dont il a toujours joui et aussi sur les services essentiels que ce munitionnaire a rendu aux armées et aux troupes de Sa Majesté en Canada.
    A certifié et attesté, sous la foi du serment, que dès l'année mil sept cent cinquante, époque de l'arrivée de lui dit sieur Thoreau dans la colonie où il a servi pendant l'espace de onze ans tant en qualité de commandant dans une partie de l'Acadie, que comme ingénieur au fort Saint-Frédéric, et enfin en qualité de major général d'armée, le sieur Cadet jouissait déjà de la réputation d'homme bien-aisé, qu'il était également connu pour le négociant le plus hardi et le plus heureux dans ses spéculations, et qu'il n'est point de branches de commerce tant intérieur que maritime auxquelles il ne se soit livré avec extrême grand succès ; mais que celles qui ont vu, de l'aveu de tous ses concitoyens, contribuer le plus à l'augmentation de sa fortune, étaient :
    1° La boulangerie du roi qu'il tenait par privilège et qui lui facilitait avec un très grand avantage la consommation des grains qu'il récoltait tant dans ses propres fonds que dans les objets qu'il avait à ferme. Lesquels grains il faisait moudre aux moulins du Saut-à-la-Puce dépendants de la terre de Saint-Joachim qu'il tenait de même à bail des pères des missions étrangères établies à Québec, objets très considérables, et d'un autre côté, d'autant plus lucratifs encore pour le sieur Cadet que d'après la situation heureuse de ce domaine sur les bords du fleuve Saint-Laurent il y faisait élever et engraisser une très grande quantité de bestiaux, qui lui servaient à pourvoir à la fourniture générale et exclusive de la viande à Québec, tant pour les troupes que pour le public, et dont il a été chargé jusqu'en mil sept cent cinquante-cinq.
    2° L'établissement de plusieurs moulins à scier où ledit sieur Cadet faisait fabriquer une quantité prodigieuse de planchers de toute espèce, tant pour les barriques à farine et à lard, que pour la couverture des maisons, ce qui est en usage dans tout le Canada, et pour tout ce qui pouvait concerner la construction de ses bateaux et le bordage de ses navires, et de tous ceux de la colonie.
    3° L'exploitation d'un poste pour la pêche de la morue dépendant de la seigneurie du Mont-Louis que le sieur Cadet avait en propriété et dont le produit de cette denrée devait être immense, soit d'après ce qui s'en consommait dans le pays même, soit d'après les envois qu'il en faisait dans les différents ports voisins de la colonie, tels que ceux de Louisbourg et de Saint-Jean et aux isles de Saint-Domingue et de la Martinique, avec lesquelles le sieur Cadet faisait d'ailleurs le commerce le plus étendu en farines, pain, lard et autres denrées du pays que les vaisseaux et goélettes y portaient et d'où ils rapportaient en échange des cottons, indigots, sucre, caffés, mélasses et tafiats dont le débit en général mais surtout quant à ce dernier article, était prodigieux, et devait être d'autant plus lucratif pour ledit sieur Cadet, que le tafiat était également la base de la traite qu'il faisait avec les Sauvages audit lieu du Mont-Louis où il avait encore et à cet effet fait établir un vaste magasin pourvu généralement de toutes les autres marchandises propres à ce genre de commerce, lesquelles il échangeait contre les plus belles pelleteries qu'il envoyait ensuite pour son compte en France ou qu'il faisait déposer dans ses hangars à Québec pour l'approvisionnement des vaisseaux européens dont les capitaines au nom de leurs armateurs après la défaite de leur cargaison profitaient pour faire leur retour et cela afin de s'éviter le voyage de Saint-Domingue et de la Martinique qu'ils étaient auparavant obligés de faire pour se procurer leur chargement. Souvent, même, pour obérer aux frais d'un trop long séjour, toujours très dispendieux, à cause des frais de rade, ces capitaines échangeaient leurs cargaisons contre le papier du sieur Cadet, contre les pelleteries, huile de poisson et autres denrées mises à cet effet en réserve à quinze, vingt et vingt-cinq pour cent au-dessous du prix courant et ils repartaient quinze jours ou trois semaines après pour l'Europe en célébrant la manière loyale de traiter les affaires et la vaste intelligence du sieur Cadet.
    Les fruits de ces diverses sources de fortune s'élevèrent à un tel point qu'à l'époque où ledit sieur Cadet a été nommé en 1756 à la place de munitionnaire général des troupes du roi pour commencer à exercer en 1757 outre les sommes immenses nécessaires à des spéculations aussi considérables et aussi multipliées, car alors le sieur Cadet réunissait presque tout le commerce de la colonie, il possédait encore cinq maisons à Québec, dont une même était affermée six mille francs au Domaine, une aux Trois-Rivières et un magasin et une autre maison au Montréal, et plusieurs magasins, ainsi que les deux plus belles terres du Canada, la Petite-Rivière et ladite seigneurie de Mont-Louis.
    Le sieur Cadet passait donc, alors, et à juste titre, pour l'homme le plus riche de la colonie, la voix publique, celle du commerce surtout proclamait d'ailleurs sa haute probité, sa manière franche et décidée dans le traitement des affaires, ce qui lui a mérité si souvent la préférence dans les différents marchés qu'il a faits et ce qui justifie le crédit qu'avait son papier. Car il est constant, que dans ce temps, le papier dudit sieur Cadet équivalait à des espèces. De manière que ledit sieur Thoreau croit pouvoir assurer que le sieur Cadet n'a dû sa nomination par la cour à la place de munitionnaire général que l'on créa pour le Canada vers la fin de 1756, qu'à la connaissance approfondie et bien prouvée qu'on lui avait donnée de la réputation d'opulence, de crédit et de talents que le sieur Cadet s'était faite dans la colonie, dans les isles voisines et dans les places maritimes du royaume.
    Ledit sieur Thoreau n'entrera point dans le détail des malversations qui se sont commises en Canada dans la fourniture des vivres pendant les années 1757 et 1758, il ignore absolument les menées de cette sordide administration et ne sait sur cela que ce que l'Europe en a su dans le temps ; mais au moins il doit et par amour pour la vérité et pour la justification du dit sieur Cadet assurer que le public en Canada n'a jamais osé le confondre, à cet égard, avec ses associés qui, de leur côté, se permettaient tout, parce que, malgré le munitionnaire en possession de toute l'autorité de sa place, revêtus d'ailleurs du pouvoir public dans la colonie, ils pouvaient, au moins pour l'instant impunément tout, surtout en mil sept cent cinquante-huit où l'un des dits associés, nommé à la place d'inspecteur général des magasins mit le comble aux dépradations [sic] par la facilité que lui donnait alors son emploi pour mal-verser.
    Mais, si la voix publique, en Canada, a séparé le sieur Cadet de ses associés coupables, cette distinction est bien justifiée par les restitutions auxquelles il les a contraints dans le courant de mil sept cent cinquante-huit et par celle qu'il a lui-même volontairement faite lorsqu'à l'instant de la rupture de la société il s'est vu, forcément, la main garnie d'un sur-gain qui ne lui appartenait pas ; ces deux faits ont absolument été au su de toute la colonie.
    Enfin pour prouver de plus en plus toute la justice de la bonne opinion des habitants du Canada sur le compte du sieur Cadet, leur vénération pour un compatriote aussi généreux que bienfaisant et vrai ami de la gloire des armes de son roi, ledit sieur Thoreau doit attester de plus et attester comme témoin oculaire les faits suivants.
    Au mois de mai mil sept cent cinquante-neuf, le sieur Cadet a fait venir de France à ses frais, risques et périls et contre l'avis, a-t-on dit, de tous ses correspondants et de tous ceux qui pouvaient s'intéresser à sa fortune, une flotte de trente navires chargés de toutes espèces de comestibles, dont quatorze ont péri ou ont été pris par les Anglais ; pourquoi le munitionnaire avait envoyé en France l'ordre à ses navires concernant cet armement dès le milieu de l'été 1758, et, ce qui était bien notoire, en dépit de tous ses associés. Le gouvernement ayant su dans le temps la disette générale où se trouvait réduite depuis près d'un an toute la colonie et ayant aussi sans doute été instruit qu'à l'instant où la flotte du sieur Cadet parut, la famine était à son dernier période il lui est conséquemment aisé d'apprécier quelle a dû être, à la vue d'un secours aussi nécessaire l'allégresse de tous les habitants de Canada et des troupes qui, mêlant aux hurlements des Sauvages leurs acclamations, nommaient hautement ledit sieur Cadet, le sauveur de la colonie.
    La flotte alimentaire une fois en rade, le sieur Cadet instruit par le sieur Kanon, son commandant en chef, que les vaisseaux de transport ennemis sont mouillés à seize lieues de Québec sous la garde d'une seule frégate, et que l'escadre qui doit les protéger en est encore à plus de cent cinquante lieues, et conséquemment dans l'impossibilité de pouvoir les secourir assez tôt, s'empresse en réunissant aux bras de tous ses matelots, ceux de tous ses engagés, de faire décharger six de ses plus fortes frégates, et il propose au conseil de guerre de les envoyer sur-le-champ enlever le convoi anglais. Ces six frégates que le munitionnaire avait surtout puissamment fait armer et munir chacune d'un nombreux et très excellent équipage dans le dessein particulier de les envoyer en course devaient certainement triompher : du moins tels étaient le vœu et la persuasion de toute la colonie qui pleine d'une juste confiance dans tout ce que le sieur Cadet aurait pu tenter, surtout d'après ce qu'il venait de faire tout récemment pour sa subsistance et croyant d'ailleurs voir disparaître par ce seul coup hardi les troubles de la guerre en Canada devançait déjà l'approbation des officiers généraux qui cependant pour des raisons sûrement puissantes mais ignorées du public refusèrent au munitionnaire non seulement leur autorisation mais ils l'obligèrent même à faire rentrer ses frégates dans la rade de Québec. Il en fut ainsi lorsque peu de jours après il s'offrit encore d'aller avec les mêmes frégates à l'isle aux Coudres qui est l'endroit du fleuve où la navigation se trouve la plus resserrée et devient très périlleuse, barrer le passage aux premiers bâtiments ennemis de l'escadre militaire et empêcher par ce fait leur débarquement dans la colonie.
    L'escadre ennemie ayant donc paisiblement rejoint son convoi, peu de jours après la capitale fut investie et il fallut aussitôt établir un camp d'observation à Beauport à une lieue de Québec et une chaîne de postes de vingt-cinq à trente lieues pour prévenir les desseins de l'ennemi ce qui, ainsi que les supérieurs dudit sieur Cadet en ont dû rendre compte, dans le temps, au ministre, multiplia très considérablement les dépenses du munitionnaire et mit continuellement sa hardiesse, son zèle et son désintéressement aux plus rudes épreuves ; et les choses ont continué sur ce même pied, jusqu'à l'époque de la session du Canada à l'Angleterre et étaient si publiques qu'il n'était personne qui ne s'écriât sur les pertes énormes et journalières que le munitionnaire faisait et qui ne fut saisi d’étonnement à la vue d'une persévérance en tout (comme on le disait) aussi outrée.
    La prise de Québec, vers le milieu de septembre 1759 à la suite de la bataille perdue sous fort neveu inspira au sieur Cadet le projet le plus généreux et en même temps le plus audacieux. Il offrit publiquement et déposa en des mains respectables une somme de soixante mille francs pour celui qui serait assez osé et assez heureux pour réussir à aller incendier, d'après la marche qu'il en traça lui-même, les magasins de boucher et munitions de guerre de Québec et par ce coup hardi livrerait la capitale à l'armée française. Un officier connu l'entreprit, il eut même réussi s'il avait commencé par où il voulait finir : c'est-à-dire par égorger la sentinelle, qui, à la première indice du feu appela du secours. L'officier sentant alors le danger où il se trouvait profita du premier trouble de l'ennemi et sortit heureusement de la ville.
    Cette solution n'ayant pas réussi, il fut arrêté qu'au milieu de l'hiver on rassemblerait les bataillons épars et que des environs de Montréal on les porterait malgré les rigueurs de la saison rapidement aux pieds des murs de Québec pour tâcher de surprendre l'ennemi. Le munitionnaire en fut nécessairement averti et malgré la disette la plus accablante, il lui fallut, mais au prix de l'or, arracher à l'habitant les derniers grains que pour sa subsistance il avait enfouis dans les entrailles de la terre, et par l'espoir le plus flatteur et en lui rappelant surtout les services qu'il lui avait rendu l'année précédente, obtenir de lui ce qu'obstinément il avait refusé aux détachements de grenadiers qui contre la volonté du sieur Cadet s'étaient à cet effet répandus dans toutes les campagnes et qui les armes à la main lui demandaient sa propre nourriture ; mais ce que les menaces les plus fortes n'avaient pu obtenir de l'habitant, les largesses du munitionnaire, son aménité, la confiance qu'on avait en lui et encore plus le souvenir de ses bienfaits, l'obtinrent, aplanirent tout, et l'armée en peu de temps fut amplement pourvue pour deux mois ainsi qu'il en avait reçu l'ordre.
    Le défaut de vivres et de munitions de guerre ayant donc opéré la reddition totale du Canada à l'Angleterre, et le général Murray ayant voulu par l'accueil le plus distingué et en présence de l'état-major des armées des deux nations essayer à s'attacher ledit sieur Cadet en qualité de munitionnaire des troupes britanniques et lui ayant à cet effet promis publiquement et au nom de son maître de se faire généralement payer de toutes ses fournitures par la cour de France, non seulement le sieur Cadet refusa avec hauteur toutes les offres, mais le général anglais, pour vanter son zèle et ses talents, lui ayant ajouté que par ses ressources continuelles il avait coûté bien du monde à l'Angleterre, « pas tant encore que je l'aurais bien voulu, répondit le sieur Cadet, et que je l'aurais pu, si on avait voulu me laisser faire ». Enfin ayant continué avec opiniâtreté à ne point vouloir se rendre au vœux de l'ennemi il fut forcé de partir, presque sur-le-champ, pour la France où il a dû arriver à la fin de 1760. Le sieur Thoreau ayant déclaré que telle était l'histoire fidèle des services du sieur Cadet en Canada et que sur tout cela il était bien assuré de se trouver parfaitement d'accord avec ce que les officiers généraux de Sa Majesté dans cette colonie qu'il a mille fois entendu combler le munitionnaire des éloges les plus flatteuses et les plus vraies, en avaient sûrement écrits dans ce temps à la cour, ce qui doit se trouver dans les bureaux de la marine et avec tout ce que les citoyens honnêtes et vertueux en ont constamment publié dans la colonie a dit que, pour répondre en entier aux vœux de ladite dame veuve Cadet, et satisfaire en même temps aux lois de la plus étroite vérité, il ne pouvait se dispenser d'ajouter à son présent témoignage le tribut qu'il doit d'ailleurs aux qualités précieuses du cœur de ce bon et généreux citoyen qui l'avait souvent associé à l'exercice de sa bienfaisance et de sa générosité. Non, il ne suffisait point audit sieur Cadet, atteste encore ledit sieur Thoreau, d'être bon Français, compatriote zélé et au-dessus de toute espèce et mesure de pertes, dès l'instant où cela pouvait, ou être utile à la gloire des armes du roi, au salut de la patrie ou devenir profitable à ses concitoyens, il était encore charitable envers tous ceux que le besoin opprimait, et surtout vis-à-vis des veuves des officiers qu'il savait avoir bien servis, et c'est moi, a dit le sieur Thoreau, qui était chargé, sous la foi du secret, de remettre de la main à la main les bienfaits dont l'exercice était en argent, et c'est moi qu'il consultait sur leur distribution et j'y ai toujours employé le soin le plus scrupuleux pour apprécier et sans la moindre préférence, la position réelle de tous ceux qui devaient avoir part à ses secours ; c'est moi encore qu'il consultait sur la situation plus ou moins malheureuse de ceux à qui il envoyait également, sous main et sans les en prévenir, différents comestibles pour les aider à subsister.
    Voilà, a répété ledit sieur Thoreau, ce que je n'ai pas cru pouvoir refuser aux lois de la plus étroite vérité et au vœu de la dame veuve Cadet, voilà ce que le sieur Cadet a fait constamment, même dans les instants où il perdait le plus, et si l'exercice d'une pareille bienfaisance, a-t-il ajouté, et qui a toujours été familière audit sieur Cadet, ne peut appartenir qu'à l'homme riche, d'un autre côté aussi, cette partie aurait-elle jamais pu être l'apanage d'un homme malversateur et conséquemment dévoré de la soif de l'or.
    Dont et de tout quoi nous notaires avons octroyé acte et jugé le sieur Thoreau de son consentement. Fait et passé à Châtellerault, à l'hôtel de la Teste Noire, le vingt-trois juillet mil sept cent quatre-vingt-sept, lu au ledit sieur Thoreau. Signé.

    Thoreau        De La Fouchardière        Delaporte

    Contrôlé à Châtellerault le six août 1787. Reçu vingt sols.


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