Récit du bombardement

de la forêt de Châtellerault

dans la nuit du 9 au 10 août 1944

Le fait du jour en France : Normandie, 10-11 août 44, combats particulièrement sanglants dans l'Orne. Le général Leclerc et sa 2e DB libéraient Alençon.

Lors de l'émission "les Français parlent aux Français", le soir du 9 août 1944 à 20 heures, Radio Londres annonçait un message personnel en ces termes : "Le Clain se jette dans la Vienne à Domine." Cette information a permis au réseau de résistants de connaître l'imminence du bombardement de la forêt de Châtellerault, où était entreposée une importante réserve de carburant, appartenant à l'armée allemande, et surtout de préparer la signalisation sur le terrain.

Cette même nuit du 9 au 10 août, aux environs de minuit et demi, une formation très importante de la Royale Air Force (RAF) composée de 176 avions de type Lancaster et 14 Mosquitoes, au total 190 appareils, provenant des bases de Dunholme-Lodge et de Skellingtorpe (Angleterre) respectivement affectées aux 50es et 619e escadrons du Groupe 5 avaient pour mission de bombarder ce dépôt de carburant.

Le ronflement des avions, l’éclairage par les fusées délimitant l’objectif à atteindre, provoquent un début de panique aux habitant du bourg de Thuré et des environs.

Ils quittèrent leur maison. Certains rejoignent la colline de Puydonneau, l’un des points culminants de la vallée de l’Envigne (altitude 150 mètres), d’autres se rendent à la ferme de la Groix (proche du château de la Massardière) autre point élevé d’où l’on apercevait parfaitement le lieu bombardé. Un décalage de plusieurs minutes, depuis le largage des fusées éclairantes (ballonnets) et l’arrivée des bombardiers. Le vent ayant déplacé l’ensemble du dispositif, le bombardement a été quelque peu perturbé. Cependant, les vagues successives de bombardiers effectuaient un circuit les conduisant vraisemblablement de la forêt de Châtellerault vers les Blanchards, les bois de Thuré et St-Gervais-les-Trois-Clochers, Scorbé-Clairvaux et retour sur l’objectif à atteindre.

C’est dans ce contexte que ce produisit l’accident où deux bombardiers Lancaster s’écrasèrent ; un près du village de la Rabotte et de Celle, le second à 500 mètres plus loin, au village des Boutaults ; suivi d’un lâché de bombes important sur le bois tout proche. Deux versions ont circulé sur les faits :

Première version. _ Abattu par la DCA : plusieurs mobiles allemands implantés tous azimuts entrèrent en action, celle située route de Richelieu, au lieu-dit la Gerbaudière (dans un champ de topinambours), commune d’Usseau, qui a été très active tout au long des opérations. Un appareil prend feu au-dessus des bois de Thuré (lieu-dit les Quinze-Chênes), dégageant une immense lueur qui éclaire le ciel et descendant en tourbillonnant (vu par de nombreuses personnes), ce pourrait être le premier appareil.

Seconde version. _ Les deux appareils se seraient heurtés. La faible distance qui sépare les points de chute pourrait donner raison à cette version. Ce fut, en tout cas, celle des gens de Thuré qui ont assisté de loin à ce dramatique accident.

Le premier bombardier, moins touché, s’écrase au sol sans exploser, à l’angle de la route de Thuré et Saint-Gervais-les-Trois-Clochers et la route de Celle (village tout proche). 

Quatre bombes n’ayant pas explosé autour des débris de l’appareil ainsi qu’un caisson de fusées éclairantes. Six aviateurs sur sept qui composaient cet équipage étaient morts à quelques dizaines de mètres du point de chute de l’avion. Bien qu’ayant sauté en parachute, la faible altitude n’a pas permis l’ouverture des accessoires. Un parachute a été trouvé dans les fourrés dans un bois tout proche de l’impact, six mois après l’accident. Le deuxième appareil s’écrase et explose dans la cour de ferme de M. Rigolet, au lieu-dit les Boutaults (500 mètres séparent le point de chute des avions). On retrouvera la queue de cet avion à 500 mètres environs du village de la Chevallerie. Les sept membres d’équipage de ce bombardier sont morts. Cependant, un rescapé provenant du premier avion a été recueilli par le fermier, M. Rivière, habitant le village de Celle. Le survivant ayant une jambe cassée a été contraint d’appeler à l’aide, il a été hébergé par cette famille. Un témoin raconte. Ce blessé, le calme revenu, fut le point de fixation des habitants de la région. Au bout d’une demi-heure, la maison était pleine de gens qui, chacun, donnent des idées sur la situation du survivant. Les uns : prévenons la gendarmerie (Saint-Gervais-les-Trois-Clochers) la plus proche, les autres : cachons-le ! Faisons-le passer pour un réfugié. D’autres : en priorité, prévenir la Résistance. Cinq heures du matin, le jour se levait, une patrouille allemande arriva, les discussions étaient closes. Dans la matinée, une ambulance des troupes d’occupation prit en charge l’aviateur pour le conduire dans un hôpital de Poitiers. Mais, en fin de matinée, quatre hommes vêtus d’uniformes de l’armée allemande, à bord d’un command-car de l’occupant, font un arrêt au bourg de Thuré pour se renseigner, afin de récupérer l’aviateur blessé. Hélas ! Trop tard ; ultime tentative de la Résistance qui échoue de peu.

Une pénible corvée restait à faire, recueillir les morts : treize (sept membres d’équipage par bombardier plus un survivant). Ceux du premier avion, bien que disséminés se révélèrent assez faciles à trouver, mais pour ceux du second qui avait explosé, les corps se trouvaient mutilés ; un seul, le mitrailleur arrière était mort à son poste, debout dans la queue de l’appareil. Un habitant du village de Celle (ancien combattant de 1914-1918) qui avait contesté l’interrogatoire musclé et menaçant de l’occupant qui suivi les faits relatés, fut réquisitionné avec son cheval et contraint d’acheminer dans sa carriole les dépouilles des aviateurs jusqu’au cimetière de Thuré où des volontaires, sur la demande des autorités municipales, préparaient l’endroit où ils devaient être déposés. Les jours qui suivirent, pour identifier ces hommes, il fallut démonter les talons des chaussures où étaient placés leurs numéros de matricule (travail ô combien pénible !).

Douze aviateurs étaient de nationalité anglaise dont le commandant de l’opération, et un Canadien.

Ce récit a été effectué d’après les recherches faites par M. Rémy Champigny (demeurant à la Plante, commune de Thuré) auprès des témoins ayant assisté de très près ou à distance à cet événement. Dans le cadre de recherches effectuées récemment, une information délivrée par les autorités militaires britanniques confirme la thèse de la collision des deux bombardiers Lancaster.

Texte de Pierre VINCENT

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Philippe FAULCON lui aussi né à Thuré, inoubliable ami d'enfance avec qui nous avons partagé de bons moments, nous a fait parvenir les documents que nous pouvons consulter page suivante. Salut à toi Philippe. 

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