MAURICE BEDEL dit aussi de lui en 1947 dans « la Touraine » :  « Le forgeron de mon village est poète. Aujourd'hui éloigné par les ans de son enclume et de son marteau, il habite les restes d'une ancienne abbaye dont on retrouve de beaux morceaux de voûte et des arcs d'ogive. Il y coule une existence partagée entre la culture de son potager et le commerce des Muses. Il peint des paysages et des animaux qui ne sont ni plus ni moins réussis que ceux du Douanier ; il sculpte des manches de canne, il transforme les vieux ceps de vigne en porte-bouquets qu'il offre aux demoiselles. Mais son talent se fixe surtout dans la poésie.
Je le trouve souvent assis dans son jardin, sous une gloriette fleurie de capucines et de volubilis. Un crayon à la main, un papier sur les genoux, il écrit. Si je suis indiscret et que je le questionne, il me répond avec simplicité qu'il compose un poème en l'honneur du mariage prochain de deux jeunes habitants du village.
_ un épithalame, lui dis-je.
_ Si vous voulez, me répond-il avec bonhomie.
_ Et vous êtes inspiré ?
_ Dame ! Fait-il en remontant ses lunettes à son front, regardez ce qui se passe autour de ma tonnelle : ces papillons qui se poursuivent, ces moineaux qui se chamaillent, et puis, sentez-moi ces bouffées de réséda qui vous arrivent du jardin, écoutez-moi ces chants d'alouette qui vous tombent du ciel. Il y a du mariage dans l'air… Alors, n'est-ce pas, je n'ai qu'à prendre mon crayon et un bout de papier : la rime vient toute seule.
J'aime cet homme qui, après quarante ans de forge, compose des élégies, des poèmes didactiques et des chansons à boire de ces mêmes mains qui tiraient le soufflet et façonnaient le fer porté au rouge. C'est un Tourangeau.»

 











« Le forgeron frappait ardemment sur le fer
Sous le soleil brûlant, sous la bise d'hiver
Mais quand venait le soir, laissant-là son Enclume,
Le poète forgeait un poème à la lune  ».





















Cette page en hommage
à mon arrière-grand-oncle, le forgeron-poète.


Elle est belle ma vieille église
Où mes ancêtres ont prié ;
C'est un peu la terre promise
Ce lieu du divin Crucifié.

Elle est belle ma vieille église,
Ma vieille église de Thuré ;
Elle brave le vent, la bise,
Ou sourit au ciel azuré.

Elle est belle ma vieille église,
Le temps l'a brunie, elle est grise.
Qu'importe c'est le souvenir.
En son vieux clocher qui s'élance,
Les oiseaux vont se réunir
Pour glorifier la Providence.

Thuré, 22 mai 1932
Emile Chamfays.







Recueil de quelques-uns de ses textes



Ce premier texte écrit en 1912 est prémonitoire. Ou, plus vraisemblablement, dans l'air du temps. N'attendait-on pas la "revanche" depuis 1871 ? Il nous rappelle aussi que cette Grande Guerre était prévue, préparée (mal peut-être) et malheureusement inéluctable.

A nos amis

Entendez-vous là-bas tout là-bas

Nos canons crachant la mitraille ?

Et dans un furieux branle-bas

Font encor gagner une bataille

Serbes, Bulgares, Grecs, Monténégrins

Se servent bien de nos joujoux

Et aux accents de leurs crincrins

Mettent en danse les Krupps jaloux.

Oui la France par son génie

Leur a fourni des jours de gloire

Foulant aux pieds la tyrannie

Aux Turcs prenant leur territoire.

Comme au vieux temps des croisades

La Croix du bon Dieu tout puissant

Dominant dans les fusillades

A encor vaincu le croissant.

Amis comme eux levons la tête

Travaillons pour la liberté

Et qu'en ce jour, ce jour de fête

Soit un jour de fraternité.

Préparons-nous tous pour la guerre

Notre devise est "toujours prêts"

Et s'il le faut à la frontière

Nous irons tous et sans regret.

Notre société vivra

Et nous en sommes tous fort aise

Et l'histoire un jour dira

C'est parce qu'elle était Française.

                                   16 novembre 1912. Emile Chamfays.

 

Les suivants sont moins cocorico que le précédent, mais tout aussi gaulois, plus souriants, écrits en patois ou plutôt en parler poitevin.

 

Un bon miote (Patois de Thuré)

Par un temps d' chalin'e au mois d'août

Qu'au fait bon d' manger un miote.

O fait du piezi à tertous

Quand y dévall' dans le jabot.

Rabelais dit dans ses mémoires,

Quand il décrit son Gargantua,

Nous le répèt' dans des grimoires,

Qu' c'était la soupe à ce gosse-là.

Six veltés et d' vin pour commencer,

Dix-huit fouaces, cassemuses et pain.

C'était là le p'tit déjeuner

D' celui qu' Rabelais a peint.

Moi itou j'aime un bon miote,

Avec mon vin des Abergeons,

Qui grouill' des oeils coum' ine cocotte,

Et raffraîchit cré nom de nom.

Après, on chante les louanges

Du pèr'e Noé qui fit le vin.

On remercie Dieu et les anges

D' n'avoir donné ce jus divin.

                                            E. Chamfays.

 

Le Martinage des vins

 

= vieille coutume (Patois de Thuré)

 

J'avons fait l' Martinage l' lend'main d' la St-Martin.

Car oul' est un usage que c' jour-là on martine les vins.

On s' fait pas biaucoup d' bile et le ceillier entend

Des vertes et des pas mures et tout l' monde est content.

On goûte d'abord in tonne, épè tant qu' i en a

Chacun caus' et explique le goût que ce vin a.

Pierre dit qui sera bon, mais faut qui faiz' ses Pâques,

Pour qui souet bin moins dur à l'estoumal dit Jacques.

Pé dans un autr' ceiller on recommence la danse,

En f' sant tout pien d' faux pas comme pour in' contredanse.

On est pas dégoûté n'on bouè dans la même tasse,

Epè on fait la ronde pour que le vin s'entasse !

J'en a encor a bouère et piu d'ine bolée

Car y a piu d'in' barrique qu'a pas été goûtée.

Et c'est pas l' pu chéti qu'on gard' pour le dernier

Car y coul' pas si bin que dévallait l' premier.

Jean contait ine histouère de loup garoux, de revenants,

qui vous fesait trembier et brailler en même temps.

Pour chasser le chagrin on bouevait un aut' coup,

Et l' chagrin s'en allait avec un coup d'vin doux.

V'la medi qui soun' le mitant d' la jornée,

Et n'on a pas fait cor la mocquié d' la tournée.

On part chez l' père Gustin goûter tout's les barriques,

Et bouer' chacun son verre là d'sus y a pas d' répliques.

Pé, coum on avait faim, on mag' un bon formage

Qu'était biaucoup salé pour fair' bouer' davantage

De cou joli vin bianc qui dévall' dans l' ca???

En nous rendant heureux et mettant le coeur en piace.

On l'appell' Val de Loire quiau bon vin de Thuré

Fait d' vigne folle et d' ch'nin qui font un vin sucré

Vin qui s' laisse si bin bouère qu'on n' s'en lasse jamais

Avec ine potée d' châtignes qui sont douces au palais.

Asteur on cont' les verres qu'on a bu d'pé l' matin

J'en trouv' trent' sept pas y un d' pus pas y un de moins,

N' pouvions pas m' contredire j' cochais à chaque foué

C' que chacun avions bu sur ine baguette en boué.

On l'était gais en partant mais gare à l'arrivée,

Y' avait l' manch' à balais derrière la port' d'entrée

Manch' qu'est dur pour l'échine et ma femme ou sait bin

Car all' tap' biaucoup fort sur mon pauvr' casaquin.

J' tâchais d' l'amadouer tout étant par terre

J'y disais ben taize-toué mais a voulait pas s' taire,

Mes amis écoutions en attendant leur tour

Car chez yeux leur bourgeoises, tapp'ront bin à leu tour.

Ma femme gueulait terjou faisant marcher sa trique,

M' disant tout' sortes de noms, call' sacrée vielle bourrique.

Quand sa rage fut passée a laissa mes pouvres reins

Qu'avont un souvenir du lendemain d' la St-Martin !

                                                 Novembre 193?. E. Chamfays.

Emile (°1863 - +1937) ici en 1864 entouré de son père Abel-Isidore Champfailly, sa mère Sophie Dupuy et sa soeur Marie-Angèle.  http://gw.geneanet.org/pouffarin1




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